mercredi 17 octobre 2007

L’Oreille du Loup vient de voir le jour et commence son errance poétique.
Quatre livres d’abord : Temps de crabes d’Eduardo García Aguilar (Colombie), Demeure lointaine de Mario Campaña (Equateur), Dans la nudité du temps et Urbaines miniatures de Stéphane Chaumet (France)
[ Prochaines éclosions prévues pour 2008 : Tsjêbbe Hettinga (Pays-Bas), José Angel Leyva (Mexique), Les Murray (Australie), Christian Uetz (Suisse), Myriam Montoya (Colombie)… ]

Urbaines Miniatures



La rage
j’ai la rage des abattoirs
la rage du rhinocéros encagé
j’ai la rage contre vos vœux
contre vos œufs pas encore éclos
je les écrase
rage rage contre vos jeux vos manigances
je les déjoue je les dérègle
contre vos experts en chimère
contre vos shows démagogiques
contre vos chiottes démocratiques
contre vos drapeaux et vos casquettes
contre vos centres et vos banlieues
rages et j’en passe
de toutes ces rages je suis en nage
je nage je nage contre vos armes contre vos voix
et vous ne me noierez pas.
 

I Citadins

J’ai des trous dans les cheveux
vous pouvez regarder
à la dérobée torve ou amusée
ma tête moche à miroir
leurrez-vous à me prendre pour un fou
à n’y voir que l’envers
des rassurances de vos vies
j’ai des trous dans les cheveux
des grosses mares de crâne
mon rasoir et moi chevauchons
irascibles sur des territoires d’effroi
j’ai des trous dans les cheveux
par réprobation de vos opinions
de vos obéissances réprobation
de vos complaisances réprobation
de vos pitiés stériles réprobation
je n’ai que des trous dans les cheveux
contre vous
la haine ébréchée de mon rasoir et moi
obstinément muet
mes trous dans les cheveux
valent des bouches qui au regard
vous crachent.




Temps de Crabes


LÉGERS GRINCEMENTS

Inutile d’ouvrir les rideaux de fer :
personne n’a la force de contrecarrer la loi de l’existence.
Avec peine l’un de nous soulèvera un léger grincement
à la toile d’araignée qui nous attache pour toujours.
Les limites furent ordonnées par un être froid
et implacable qui gît dans notre corps
et dans les après-midi de sieste nous ne le percevons pas :
il est là palpitant sous la peau qu’un jour on nous a peinte.

TEMPS DE CRABES

Le temps fut une invention de crabes étrange épiphanie de loirs ailés :
dans les siècles apparaît un éternel présent d’animaux antédiluviens
comme si une épaisse couche de fougères entravait pour toujours le mécanisme.
Fuis à la fin des heures et pénètre dans la mémoire
de ceux qui une fois t’ont possédé.
Tout fut seulement l’animal qui nous unit la morsure l’égratignure
de la mort infectieuse :
Dans tes larmes dans mon désir obscur dans les draps blessés
se voyaient les ongles d’un Zeppelin récemment abattu
ou la toile d’araignée d’une horloge avec des yeux et des veines.
Fuis sans regarder derrière et n’invoque pas l’usure
ne pleure pas dans des villes étrangères dans des escaliers délabrés :
sur une étrange planète s’entassent les voix des amants
les radios pas cher qui crachaient des mélodies démodées…
Un à un les matelas furent vendus à des entrepôts
et notre inquiétude d’amants secrets fut échangée pour des clous.
Toutes les avenues pleines d’huile et de plomb ont vu ces jours-ci
passer la marche funèbre des foudroyés à contretemps.
Les tombes dans tous les cimetières ne satisfont pas les pressés
qui nous ont vu courir main dans la main dans une sale ruelle.
Ici les papillons ont changé leur direction vers des précipices
et la poussière se lève des collines où nous jouons
entre azalées et chrysanthèmes de feu.
Dans les stations d’autobus dans les aéroports où tu arrives
caresse les murs que des égyptiens viennent de polir
écoute les coups de tampons sur les visas inutiles.
Dans ces rues quelque chose comme une odeur de toi toujours inquiète
les employés des boulangeries.

Demeure Lointaine


Chacun meurt en sa bataille
Et tous dans la même, labourant
Le champ erroné, ennemi et intime
À la fin :

Puisque le poisson meurt dans l’eau
Pas dans l’air
Qu’il arrive qu’un pauvre soleil se pende avec une corde d’air
Tout oiseau meurt de son chant
Il chante son harmonie l’étrangle
La mouche luit du miroitement mordoré de ses ailes
Masquant son émeraude obscure.


*


La fumée gomme les regards dans la nuit chaude.


J’ai un trou dans la poitrine
Qui résonne et façonne comme au tour de potier
La masse informe des os qui ont grandi avec moi.

Ce pourrait être une marche de prestidigitateurs nocturnes
D’êtres qui n’existent que pour l’oubli
Comme le chasseur change d’affût pour leurrer son gibier.

Un jour un ami dit
Qu’il fallait dresser des barricades dans le ciel
Mais qu’il y aurait alors à prévoir sa vengeance
Cultiver une plante qui détienne en son germe
Une fleur d’air, dont la vie, infiniment ouverte
Enseigne à tous ses plus secrètes splendeurs.

Dans la nudité du temps


Sous l’aurore
une averse agite mon sang
l’odeur du jour.

J’habite le chemin.

À l’abrupt
la fleur furieuse du vent
ouvre mon oreille.

Je vais mais nulle part.

Où la beauté s’ébrèche
mes lèvres se coupent
amoureuses.




Où le cri meurt-il ?
Dans la source de quelle oreille
quand bien même il ne serait pas
un appel
juste une nécessité.
Le cri, peut-être, une concrétion de mots
ayant perdu leurs syllabes
qui, expulsée, au néant se pulvérise
embruns de sens éparpillés, qui disparaissent.
Ou le cri
seuil extrême où la musique
meurt ?